Gravity : le space-movie qui vous réconciliera avec la 3D

23 Octobre 2013


Quand James Cameron explique qu’il s’agit du meilleur film sur l’espace jamais réalisé, et que l’ensemble des astronautes français, américains, et allemands le trouve bluffant de réalisme, doit-on s’attendre à une simple claque visuelle ? Non, à bien plus.


Photo extraite du film
Les éloges se multiplient depuis plusieurs semaines autour de cet ovni cinématographique, lui donnant déjà bien avant sa sortie le statut de véritable événement. Certains de ces discours sont au mieux surprenants, au pire à la limite de l’effroi. Quoi James, Gravity serait mieux encore que le grandiose 2001 ? Non, Stanley ne t’en fait pas, ton statut de maître ne bouge pas. Même pari technicovisuel, cachant un spleen transcendant d’existentialisme, soit. Cependant, le choc tient plus de la forme que du fond. Malgré la profonde réflexion métaphysique inconsciente, on n’en est pas non plus au niveau des turbulences kubrickiennes. Mais oublions deux secondes 2001 et les quelques lignes que vous venez de lire. Car derrière un scénario d’une longueur équivalent à un tweet réside quand même une odyssée psychique phénoménale.

Pour mieux cerner le succès anticipé de cet opéra cosmique, retour sur l’auteur, Alfonso Cuaròn, qui n’était pas voué à recevoir autant de dithyrambes un jour. Début de la décennie, le Mexique donne à un Hollywood en perte de vitesse une fournée de trois réalisateurs. Guillermo Del Toro, Alejandro Gonzalez Iñárritu & Alfonso Cuaròn qui forment le Tequila Gang. Si le premier s’ancrait dans son fantastique baroque si personnel et que le deuxième naviguait dans un lyrisme charmant, Cuaròn pataugeait dans ses commandes hollywoodiennes, à la recherche d’une personnalité. Tandis que la Warner lui demandait de réaliser sans grands efforts le troisième Harry Potter, le reste du Tequila Gang s’épanouissait de plus en plus et prenait ses marques.

Comme chaque génie au talent gâché, Cuaròn s’est réveillé, un beau jour de 2006, en pondant l’adaptation du roman de P.D James, Les fils de l’homme. Et là, révélation. Pas au box-office, puisque comme tout film culte, ce fut un échec commercial assez conséquent. Pas non plus par la critique, qui a snobé plus ou moins grossièrement l’œuvre. Mais voilà. En 2013, rares sont ceux qui ne connaissent pas ce film. Encore plus rares sont ceux qui parmi ces derniers, ne le reconnaissent pas en tant que chef d’œuvre d’anticipation dystopique, dans la lignée du grand 28 jours plus tard de Danny Boyle. Le public a eu les yeux rivés vers ce cinéaste discret, qui le fut bien trop pendant 7 ans. Car c’est 7 ans plus tard, avec un nouveau statut de maître de la SF contemporaine, qu’il revient.

« Papa, viens on fait un film sur l'espace »

À l’origine de ce projet, une conversation banale entre un père et sa progéniture. « Papa, j’ai une idée. Viens on fait un film sur une astronaute qui se retrouve seule dans l’espace, sans rien ni personne ». Pari tenu. Le scénario écrit en famille est en effet d’une simplicité sans précédent : une équipe de deux astronautes, un au seuil de la retraite, l’autre lors de sa première sortie, se retrouve catapultée dans l’immensité de l’espace, livrés à eux même lorsque des débris viennent perturber leur petite sortie de routine. Comment Cuaròn réussit à en faire le film le plus attendu de l’année ? En poussant les limites. Les limites de cette histoire, les limites de Sandra Bullock, et les limites de la technologie.

Car derrière ce haïku scénaristique se trouve un profond paradoxe. D’un côté, il y a quelque chose de bien terre-à-terre, dans cette volonté de survivre qui réside dans les deux protagonistes. Cet instinct de survie qui nous pousse dans nos plus profonds retranchements. Cuaròn évite de justesse le pathos hollywoodien tout en rendant le personnage de Ryan, la professeure plus habituée aux locaux de la NASA qu’au terrain, incroyablement humain. Pendant 30 secondes peut-être, vous grincerez des dents face à au recueillement d’une mère endeuillée, mais il faut passer outre. Car là où le reste des créateurs du grand Hollywood dans la veine d’un certain Michael Bay en aurait fait un élément de mélo insupportable, le réalisateur réussit à trouver l'équilibre quasi parfait entre humanité, sensibilité, et professionnalisme. Ce n’est pas tant une héroïne de l’espace du calibre de Ripley (Alien) mais bien une mère dépressive. D’un autre côté, derrière ce vernis d’humanité de surface, se trouve une véritable réflexion sur l’immensité de l’espace, la solitude, le rapport entre la maternité et la terre, la vie, la mort. La notion de racine omniprésente, présentée avec une certaine intelligence dans de splendides plans-séquences à la Cuaròn, ne fait que rappeler la mortalité de nous autres humains et surtout de Ryan. Sans sombrer dans de la métaphysique lourde, l’idée de retour à la vie et de renaissance donne du relief à Gravity. En cela, il y a quelque chose des Fils de l’Homme dans cet autre Cuaròn.

Pour supporter tant de vulnérabilité et dans le même temps, tant de force, il fallait une actrice de grande envergure. Angelina Jolie devait le faire, puis on a parlé de Scarlett Johansson ou encore Natalie Portman. Finalement, Alfonso a préféré Sandra Bullock. Oui, celle qui jouait dans l’ultime navet de l’été Les flingueuses. Oui oui, celle que l’on voit plus dans des comédies mélo de seconde zone que dans de beaux films. Alfonso propose enfin un rôle ambitieux à celle que plus personne ne considérait comme une actrice talentueuse. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, elle nous livre une prestation incroyablement sobre, et personne, strictement personne, ne la critique. Tout simplement, car il n’y a rien à redire. La direction du Mexicain la sublime et concrètement, Sandra Bullock renait à la manière de Ryan avec cette prestation. On en est à se demander qui de Cate Blanchett ou de Sandra Bullock mériterait l’Oscar de la meilleure actrice. C’est dire !

Photo extraite du film
Le seul problème réside dans la beauté physique dépendante de l’IMAX en 3D. Car Gravity est une expérience visuelle, voire didactique, qui a le mérite de vous économiser une visite au Futuroscope. On se prend des débris dans la face, et au bout de quelques minutes, l’apesanteur de la salle s’éclipse le temps de ce voyage interstellaire. Le réalisateur réussit la prouesse de créer de la claustrophobie dans le plus grand espace possible. Cette sensation d’étouffement, d’enfermement, par le gigantisme de l’univers n’est le résultat que de plusieurs années de travail de Cuaròn. Cherchant l’innovation à son paroxysme, le cinéaste a eu l’idée d’inventer des techniques, allant du câblage des acteurs, à la lumière ou à la caméra utilisée. Toute la technologie autour du tournage fut créée pour le film et lui donne une certaine supériorité, permettant de dépasser de très loin tout ce que l’on a vu auparavant. La documentation offerte par la NASA donne à ce film intégralement filmé sur écran vert (qui fait habituellement fuir les plus grands fervents du 7e art) un réalisme à couper le souffle. Le but du réalisateur était de donner l’impression d’avoir filmé dans l’espace et c’est chose faite. Cet effet survivra-t-il au passage sur petit écran ? On en doute.

Gravity est donc un blockbuster minimaliste, touchant, beau, efficace et surtout surprenant. Car l’on se retrouve face à une énigme du cinéma. Un scénario mince, une actrice que l’on attendait plus, à 99 % constitué d’effets spéciaux, avec un réalisateur dont le talent restait encore incertain. Et pourtant, Gravity fascine, tel un grand monolithe noir, devenant minute après minute un monument de la science-fiction contemporaine.



Étudiant à Sciences-Po Paris, 2ème année. Cinéphile averti depuis 1993. En savoir plus sur cet auteur